Etablissement des Tanneries Marquet à La Roche par Léon Marquet
Etablissement des Tanneries Marquet à La Roche
Léon Marquet
Introduction
La Roche a connu autrefois de nombreuses tanneries, aujourd’hui disparues. Au XIXe siècle, une quinzaine d’établissements furent créés, la plupart le long des ruisseaux de Bronze et de Hermeux.
En 1764, il a été procédé à un recensement des « fabriques, manufactures, crus et production du Duché de Luxembourg ». Dépendant du bureau de Samrée, La Roche compte alors trois tanneries. Elles comprennent ensemble 17 fosses et appartiennent à trois maîtres tanneurs : Gillet, Moxhon et Fabry. Ils tannent annuellement 180 gros cuirs pour semelles, 1520 cuirs du pays pour empeignes et 150 peaux de veaux.
L’entreprise de Pierre Gillet existe depuis environ 30 ans, celle de Jacques Moxhon depuis 26 ans et celle de Fabry depuis 15 ans. Cette dernière famille s’appelle en réalité Vanderweyen, dont l’ancêtre à La Roche, Pierre Antoine Vanderweyen, dit Fabry, y est décédé le 30 avril 1703. Leur petit-fils fils Jean Pierre Vanderweyen exploite la tannerie familiale et son neveu Antoine reprend l’entreprise. Il est à la fois bourrelier et tanneur. C’est le fils homonyme de ce dernier qui s’installe comme tanneur à Houffalize après son mariage en février 1834 avec Marie Agnès Grandjean. Le couple quitte ensuite la vallée de l’Ourthe pour aller résider à Rochefort où l’on recense également une tannerie Vanderweyen. D’après les recherches généalogiques effectuées par L. Nollomont, les familles Gillet, Moxhon et Vanderweyen sont issues des Petithan par les femmes ; Jean François Petithan, époux de Jeanne Merlin, reçu comme échevin de La Roche en juin 1730, est déjà mentionné comme tanneur ; il est le beau-père de Moxhon et le grand-père maternel de Pierre Gillet et de Jean Pierre Vanderweyen.
Les tanneurs rochois occupent de temps en temps un ouvrier ou deux et travaillent eux-mêmes. Le débit de leurs cuirs se fait en partie à La Roche et aux environs, en partie en France et en Lorraine par acquit à paiement du bureau de Samrée. Ils reçoivent les cuirs forts du pays de Liège qui n’exige aucun droit à la sortie des marchandises. Les cuirs crus et les peaux de veaux se récoltent à La Roche et dans les alentours. Les cuirs paient un droit d’entrée en France et en Lorraine se montant à 2 sols par livre, argent de France.
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Enquête
La requête de Marquet date du 12 février 1884. L’ingénieur de l’arrondissement de Marche s’est présenté sur place et a instruit la demande le 17 mai en présence du requérant et des bourgmestres de La Roche et de Beausaint, celui-ci assisté de son secrétaire communal ; les deux bourgmestres ont déclaré s’en remettre à l’avis de leur Collège échevinal respectif. Marquet déclare ne vouloir faire dans le ruisseau dit Fontaine Givroule aucune prise d’eau, ni barrage, ni retenue d’aucune sorte. Les eaux nécessaires à l’exploitation seront prises dans une source émergeant dans la propriété de Nicolas Jeanty et amenées à l’aide de tuyaux établis sous la route de La Roche à Grandhan, et dont le placement a été autorisé par l’arrêté ministériel du 13 mars 1884.
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Le document
« Arlon, le 4 juin 1884.
« La députation permanente du Conseil Provincial du Luxembourg.
« Vu la requête en date du 12 février 1884, par laquelle le Sieur Marquet-Danloy, négociant à Laroche, sollicite l’autorisation d’établir une tannerie sur le territoire de Beausaint-lez-Laroche.
« Vu le procès verbal d’information de commodo-incommodo, du 9 mars 1884 duquel il résulte que plusieurs oppositions ont été formées contre la demande du Sieur Marquet-Danloy, oppositions basées sur l’insalubrité et sur le danger d’incendie que représenterait l’établissement projeté.
« Vu l’avis défavorable du Collège des Bourgmestre et Echevins de Beausaint.
« Vu les avis favorables du Collège et Echevins de Laroche, de MM. le Commissaire-Voyer du canton (en date du 17 avril 1884), l’ingénieur en chef, Directeur des ponts et chaussées à Arlon, et le Commissaire de l’arrondissement de Marche (en date du 18 avril 1884).
« Attendu qu’il est prouvé par les pièces de l’instruction que les motifs d’opposition ne sont pas sérieux.
« Vu l’Arrêté Royal du 29 janvier 1860,
« Arrête
« Le Sieur Marquet-Danloy, négociant à Laroche, est autorisé à établir une tannerie sur le ruisseau dit Fontaine Givroule, territoire de Beausaint et Laroche, sous réserve de tout droit des tiers et aux conditions suivantes :
1° L’usine sera établie dans le bâtiment cité au Cadastre sous le N° 486, section E, et dont l’emplacement est figuré au plan annexé.
2° L’eau nécessaire à l’exploitation de l’usine proviendra des sources jaillissant dans un terrain appartenant au Sieur Nicolas Jeanty et coté au Cadastre de la commune de Beausaint sous le N° 456, section E ; cette eau sera annexée sur la propriété de l’impétrant à l’aide de tuyaux établis sous la route de Laroche à Grandhan conformément aux conditions inscrites dans l’arrêté ministériel du 13 mars 1884, N° 2373 Bis, autorisant le placement de ces tuyaux.
3° Il ne sera formé dans le ruisseau aucun barrage ou vanne de retenue des eaux.
4° L’impétrant établira dans sa propriété deux bassins dont un pour la détrempe des peaux et l’autre pour l’épuration ou la décantation de toutes les eaux de la tannerie ; ce dernier aura une capacité de 30 m cubes au moins et sera garni sur les côtés et au fond d’une maçonnerie faite avec soin. Il sera pourvu d’une vanne de décharge dont le seuil sera placé à 0 mètre 25 au moins au contre-haut du fond du bassin ; elle sera disposée de façon que l’écoulement ait toujours lieu du haut.
5° Dans le canal de décharge faisant suite aux bassins d’épuration et de détrempe, il sera établi jusqu’au niveau du sol un filtre composé au niveau du sol composé exclusivement de graviers ou de grosses brocailles. Ce filtre sera constamment entretenu en parfait état par les soins du requérant.
6° Le canal de décharge conduira les eaux d’épuration le plus directement possible dans le ruisseau dit Fontaine Givroule.
7° Il est formellement interdit de déposer ou de laver des peaux ou cuirs dans le ruisseau voisin et dans l’Ourthe et de déverser ou jeter des écorces de tan.
8° Dans le bâtiment, il sera établi des cheminées d’aérages pour que les émanations du tannage puissent s’échapper à l’extérieur.
9° Les cuves ou fosses à tanner seront toujours soigneusement recouvertes ; elles seront construites de manière que leur contenu ne puisse s’échapper dans le sol.
10° Les peaux fraîches et autres débris d’animaux abattus ne pourront être déposés à l’intérieur des locaux.
11° Les déchets des peaux et des cuirs ne pourront être conservés dans l’établissement ; ils seront enlevés dans des récipients fermés et déposés dans un lieu autant que possible loin des habitations.
12° Immédiatement l’achèvement des travaux, le permissionnaire sera tenu d’en informer l’Administration afin que celle-ci puisse faire constater l’état des lieux.
13° Il sera tenu également de laisser visiter en tout temps son usine et tous les devoirs qui en dépendent par les agents autorisés nommés à cet effet.
14° Il devra se conformer aux lois, règlements et ordonnances en vigueur ou à intervenir sur la matière. Il se conformera également à toutes les mesures de précautions et aux dispositions que l’autorité compétente jugerait de prescrire par la suite, soit en vertu de la législation existante ou de celle à intervenir, soit dans l’intérêt de la salubrité ou de la sûreté publique.
15° Dans aucun cas ou sous aucun prétexte, le Sieur Marquet-Danloy ne pourra prétendre à une indemnité de la part du Gouvernement ou de la Province. Si pour cause d’utilité publique ceux-ci jugeraient nécessaire de faire opérer par lui des changements à son usine ou à en exiger la suppression complète.
Pour la Députation,
Le Greffier intérimaire (S.)
Page suivante :
Plan de la disposition des locaux et de l’emplacement des magasins, appareils, ateliers, etc., d’une tannerie à établir à la limite des communes de La Roche et de Beausaint, aux lieux dits Faubourg Saint-Antoine et Beausaint-lez-La Roche.
Rez-de-chaussée : a. détremperies, b. atelier, c. chauffoirs, d. bassements.
Les flèches indiquent le sens du courant du ruisseau de la Fontaine Givroule.
Étage : magasin à écorce, magasin à cuirs et séchoir.
La tannerie à La Roche au XIXe siècle
Le 12 août 1836, la section régionale de la Commission du Travail se réunit à La Roche. Parmi les témoignages reçus, ceux d’un ouvrier tanneur et d’un conseiller provincial qui précisent les horaires et salaires, et informent sur la pratique de l’écobuage, la stagnation des affaires et la concurrence venue de l’étranger.
Henri Danloy, ouvrier tanneur, à La Roche, déclare :
En hiver, les ouvriers tanneurs travaillent de 7 heures du matin à 7 heures du soir. Ils ont une demi-heure de repos à 8 heures, une heure à midi, un quart d’heure à 16 heures. Ils gagnent de 1 fr. 70 c. à 2 fr. 20 c. En été, ils travaillent de 6 heures du matin à 7 heures du soir, et gagnent environ 2 fr. 50 c. Le salaire a augmenté de 50 centimes depuis dix ans.
Les ouvriers qui ne sont pas employés l’été à la tannerie, utilisent leur temps en plantant leurs pommes de terre, labourant leur champ, faisant leurs approvisionnements, ou encore, ils achètent des « haies », c’est-à-dire une portion de taillis qu’ils exploitent.
Je demande la suppression des jeux de hasard, qui constituent une tentation à laquelle nos enfants même ne peuvent se soustraire.
Les trois-quarts des ouvriers sont propriétaires de leur habitation ; les autres louent, moyennant 120 francs l’an, une maison de trois places, sans jardin.
Les terrains à bâtir sont très rares à La Roche, mais la commune cède aux ouvriers, au prix de 20 centimes le mètre, des parcelles de la montagne ; l’acheteur abat le roc et se sert des débris pour construire sa demeure. L’ouvrier qui loge à l’auberge s’y nourrit également, le tout au prix de un franc par jour.
Généralement, l’habitation de l’ouvrier qui meurt est héritée et rachetée par l’un de ses enfants. La moyenne des enfants est de cinq à six par ménage.
Il y a à La Roche 65 cabarets pour une population de 1.600 habitants, occupant 330 maisons. Toutefois, il faut comprendre dans ce nombre de cabaretiers, les habitants qui, munis de la patente, ne vendent de boisson que les jours de foires. On ne vend guère à crédit dans les cabarets ; aucun ouvrier, à ma connaissance, ne dépense plus de 10 francs par mois au cabaret.
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