SEGNIA- Cercle d\'Histoire et d\'Archéologie - HOUFFALIZE

Garnisons à La Roche-en-Ardenne au XVIIe siècle, par L. Marquet

Garnisons à La Roche-en-Ardenne au XVIIe siècle.

 

 

L. Marquet

 

 

 

Au XVIIe siècle, La Roche-en-Ardenne, que sa situation au cœur de la région rendait précieuse comme point d’appui et base de ravitaillement, fut occupée par de nombreuses garnisons, ce qui occasionnait aux habitants de la localité l’obligation de fournir des rations, du fourrage et du bois de chauffage en hiver. Comme l’atteste un document publié par L. Nollomont dans le Bulletin trimestriel du Cercle Segnia (1), le Magistrat fut même obligé en 1636 de louer une partie de la halle afin de se procurer des ressources financières.

 

En août 1681, sous Louis XIV, les Français occupèrent La Roche. (2) Par ordre du marquis de Lambert, la ville dut loger une compagnie d’infanterie (3) en attendant que le logement du château fût accommodé et on fut également obligé de leur fournir le couchage, les ustensiles et d’autres services.

 

Les réquisitions ne se faisaient pas sans difficulté comme on peut le lire dans les archives ; ainsi, le 28 mai 1681, Georges Merlin, exerçant les fonctions de lieutenant-mayeur en lieu et place du notaire Nicolas Nollomont, indisposé, se pose en acteur contre Adam Bodet, bourgeois de La Roche, ajourné. (4) Trois semaines auparavant, le capitaine Rodrigue était entré en ville par ordre de Son Excellence ; il avait été logé chez Bodet « tenu pour le plus commodieux des bourgeois ». Quelques jours plus tard, le capitaine fut replacé dans une autre maison, à la charge de Bodet, qui lui fournit seulement un lit et quelques ustensiles de cuisine. L’officier n’obtient de son hôte que des « linceulx (draps de lit) non blanchis ni convenables pour le lict d’un capitaine », ce dont il se plaint à la Justice locale pour en recevoir d’autres « plus honestes ». Adam doit donc obtempérer. Mais au lieu d’y satisfaire, comme en ayant bien les moyens, il en fait « un plat refus ».

 

Ce refus étant « d’une dangereuse conséquence et mauvais exemple pour les autres bourgeois qui, à l’imitation dudit adjourné pourront aussy se rendre désobéissants aux billets de la Cour, d’où résulteroit grande confusion et soulèvement et une impossibilité de pourveoir aux logements des soldats que sa dite Exce envoye en garnison en cette ville », Adam est convoqué pour comparaître vers les 14h00.

 

Le matin même, son épouse a produit par devant les membres de la Justice deux draps « tout gris de trois pieds et de deux sortes de taille ». Merlin se plaint en outre que « l’adjourné a été si osé à la lecture de la plainte cy dessus » ; il déclare que « l’on ne debvoit alléguer des mensonges, ce qui est un dérespect trop choquant profond à un officier en face de Justice qui ne se doibt tolérer ».

 

Le contrariant personnage est condamné à satisfaire à l’ordonnance, à savoir fournir des draps convenables. En cas de refus ultérieur, il y sera pourvu à ses frais « eu égard que le capitaine ne peut se loger sans linceulx ». La condamnation est alourdie d’une amende de 3 florins d’or et des frais de justice. Mais Adam Bodet est un entêté : il interjette appel au Conseil de Luxembourg ; les Français étant entre-temps entrés dans la province, il devient obligatoire, par ordre de Louis XIV, d’en appeler dorénavant par devant la Chambre royale de Metz. Nous ignorons hélas ce qu’il en advint. Comment aura réagi le téméraire devant les nouveaux occupants ?

 

En août 1688, un officier des dragons certifie avoir reçu la ration de fourrage des habitants de La Roche pendant les deux premiers jours du mois, à savoir à la lieutenance colonelle 27 rations par jour, celle de Terme 27, celle de Mr Jullien 28 et celle de Villemollins 27, faisant pour les deux jours 248 rations.

 

Voici la teneur de la lettre envoyée en 1687 à Mr Mahieu, intendant pour le roi du comté de Chiny et autres pays réunis :

« Représentant en tout respect le Magistrat de la ville de La Roche que dès l’onzième du mois de septembre dernier, ils se trouvent chargés de quattre compagnies du Régiment des vaisseaux, laquelle charge a raison de la petitesse du lieu et pauvreté des habitants que les propres brimbeurs (mendiants) sont logés de deux soldats et les autres a l’advenant, en lieu que les villes de Marche et Bastoigne qui sont au double et quadruple plus puissantes que celles-ci y sont chargées de quattre et cinq compagnies, outre quoy cette ditte ville at encore souffert plusieurs passages et logement de trouppes si comme de quattre compagnies du regiment de la Moriniere et autres de dragons, outre quantité de mauvais fraix dont cette ville se trouve journellement chargée sans qu’elle ait une maille de revenu comme ont les autres villes ny juridiction hors de l’enceinte d’icelle et le 23e de ce mois d’octobre nous avons reçu ordre de votre Seigneurie de nous préparer a recevoir en logement deux compagnies et demy de cavalerie et leur fournir le vivre et fourrage, ce qui a tellement surpris le pauvre peuple dont la plupart n’at un morceau de pain ny aucun foing ny avoine pour y fournir, qu’ils sont à la veille de tout abandonner comme estant la ville située en lieu montaigneux et steril, comme votre Seigneurie le peut avoir recognu, la ou il n’y a aucune charrue, nul commerce ny trafficqs, la plus part des habitans ne vivant que d’un peu de sart, qu’ils font avec la houe parmy les montaignes qui ne se labourent que de 15 a 20 ans ; une fois d’ailleurs ladite garnison at enthierement ruiné tous les jardins et en arrachant et bruslant les clostures aux gardes sur le refus que fait le Prevost dudit la Roche de faire furnir par les subjects de la prevosté le bois necessaire auxdites gardes comme a ce obligé de toutte ancienneté, ayant mesme esté a ce condamné par sentence du Conseil de Luxembourg en date de (blanc) ensuitte de laquelle ils y ont satisfaict jusques a l’entrée de cette garnison sans aucune difficulté, a raison de laquelle les remontrans se retirent vers la justice de votre Seigneurie, la suppliant tres humblement estre servye d’y faire benigne reflexion et desuitte ordonner audit prevost de faire furnir les bois de guarde par ses sujectz d’office a la decharge des habitans de cette ville qui de toutte ancienneté sont exempts de ce furnissement conforme ladite sentence en laquelle exemption et privilege ils sont aussy continué par la declaration royalle, confirmation des privileges de la Comté de Chiny, en esgard aussy qu’il n’y a en ceste ville aucun chariot et partant l’impuissance d’y pouvoir furnir, la suppliant aussy estre servye de les decharger d’une partie de leurdite garnison d’infanterie et cavalerie a venir ou autrement nous prevoyons qu’il nous sera impossible d’empescher la desertion des habitans qui en sont au desespoir en raison de leur pauvreté ».

 

Après la signature du Traité de Rijswijk en 1697, les Français quittent La Roche mais avant leur départ, ils détruisent les toitures des casernes qu’ils avaient construites et enlèvent les portes et fenêtres, ne laissant que les murailles.

 

En 1699, la guerre de Succession d’Espagne éclate et les Français réoccupent La Roche qu’ils quittent en 1714 à la suite du Traité d’Utrecht. Les épreuves ne sont cependant pas finies car des garnisons espagnoles sont à leur tour logées. En janvier 1715, on lit ce qui suit dans une lettre envoyée par le Magistrat :

« Nous avons appris avec lamentation que votre Excellence a ordonné par son ordre du 17e de ce mois de renvoyer les matelas et fournitures qui ont toujours estés d’ayde pour le couchage des soldats de cette garnison et celle du chasteau au soulagement des pauvres bourgeois de cette ville depuis l’incendie d’icelle arrivée l’an 1704 (5), en sorte que la pauvreté et misère esquelle lesdits bourgeois ont esté reduits n’ont permis qu’a fort peu de personnes de se rebastir tellement que sy les bourgeois se trouvent pour l’advenir privés des dites fournitures, ils seront constraints d’abandonner et se retirer ailleurs ou ils pourront avec leurs familles et pour ne pas attendre la surcharge d’une garnison de deux compagnies qu’on nous assure estre destinées et par ainsy eviter un logement de six, neuf et douze soldats que chacun des dits bourgeois deverat recevoir dans leurs petites maisons et baraques qu’ils ont seulement destituées des fournitures necessaires (manque) dans leur grande pauvreté comme estant en un lieu sans labeur, obligés de venir representer a votre Excellence et l’asseurer que c’est la pure verité, la suppliant en implorant sa clemence donc nous vouloir charger que d’une desdites compagnies en esgard tant a notre sincere representation qu’au gros nombre des  soldats dont elles sont composées et qu’ensuitte votre Excellence soit servie d’ordonner le retour desdits matelas et fournitures pour qu’elles soient distribuées à la décharge des pauvres bourgeois aux soldats de ladite compagnie, principalement a ceulx qui seront commis a la garde et tuition (défense) dudit chasteau, c’est la grace.

La Roche, le 25 janvier 1715 ».

 

 

Notes

(1) L. NOLLOMONT, t. XXI, fasc. 1, pp. 17-25.

(2) Dans son Manuscrit, Sire Servais Du Pont, contemporain des événements, signale l’arrivée des Français par un chronogramme :

« NVNDINIS LAVRENTII INTRAVERVNT RVPEM GALLI »

Ils s’y sont maintenus pendant 14 années, fortifiant le château et nommant un gouverneur et un major de place.

(3) Durant cette période française, la garnison est sous les ordres du colonel Jean-Jacques De la Croix, qui fait de fréquentes incursions sur les terres des ennemis de la France. Il commande une compagnie de cavalerie et une compagnie d’infanterie. Parmi ses hommes, on note la présence de Henri Dutilleux, « lieutenant de cavalerie de mr de la Croix », ensuite promu au grade de « capitaine d’une compagnie franche de 100 fusiliers ». Il s’intègre à La Roche, y épouse Agnès Bastogne, une fille du lieu, et achète le fief Goqson à Bérismenil à la famille de Mohonval ainsi que la Cour St-Hubert située dans le même village. En 1700, il est échevin à La Roche où il est décédé en 1716. Deux de ses fils, Henri et Nicolas, nés à La Roche, y deviennent également échevins, dont l’un non sans difficulté, vu son jeune âge. Tous deux épousent une fille du notaire Jean Georges Nollomont, respectivement Dorothée (née en 1701), et Lucie (née en 1703). Au sein de la compagnie Detilleux se trouvent le lieutenant (1703) François Cazemajour, dit Basque, qui épouse également une Rochoise, le fusilier Jean-Baptiste Dusart, natif de Tihange (archives Notaire Duthier), le cavalier Siméon Launois (1695), dont l’épouse réside à Paris (archives Notaire Duthier), et Roland Jean Roland (1695), de Barvaux-sur-Ourthe (archives Notaire Duthier).  Renseignements communiqués par M. L. Nollomont sur base de ses recherches généalogiques au sujet des anciennes familles rochoises. Qu’il trouve ici l’expression de nos remerciements.

(4) Archives de l’État à Saint-Hubert, La Roche, Justice, 1680-1685, f° 24 r° et v°.



30/12/2010
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